Solange raconte ses souvenirs d'enfance pendant la guerre
Je suis née hier [rire], le 27 septembre 1931, mes parents c’était François, Joseph LE QUELLEC de Kerdavid et ma mère Marie, Simone PERRET de Kerhostin. Nous étions sept enfants.
Ma grand-mère Marie Josèphe Le GOFF, avait une très belle maison à Kerhostin, mais vous savez, à l’époque, « tu te maries, tu le veux, tu le prends, bon, tu fais des enfants, il va travailler pour les nourrir », ce n’est pas comme aujourd’hui, on ne tendait pas la main il ne suffisait pas de demander pour avoir, ce n’était pas comme cela que ça se passait.

Un jour, ma grand-mère voyant les petits-enfants arriver les uns sur les autres, a dit à ma mère : « Je te donne un terrain pour construire». Donc ma mère a fait construire une maison mais c’était juste le grenier, deux pièces en bas et point à la ligne. Mes parents ont vécu comme ça. Une maison construite avec beaucoup de difficultés parce que c’était juste à la déclaration de la guerre, le gars qui s’était occupé de construire la maison de mes parents, eh bien ce « fumier-là », du fait que mes parents avaient une famille nombreuse et avaient eu des bons de ciment, ce « salopard-là »a récupéré la marchandise. Seulement sa maison était aussi en construction, il a fini sa construction et il a laissé mes parents avec quatre murs, la charpente pas posée. On a dû aller chercher des cailloux à la Côte pour continuer la construction.
J’étais enfant et je voyais mes parents cravacher et souffrir. Ma mère avait eu la possibilité de faire du savon, elle avait obtenu des bons pour aller chercher de la potasse liquide. Et bien vite on a pris des bouteilles de cidre et avec ces bouteilles-là, on a été chercher la potasse ; mais mon petit frère qui n’avait que dix-huit mois lorsqu’il a vu ma mère revenir avec ses bouteilles, croyant que c’était du cidre, il a mis sa petite bouche et tout l’œsophage a été brûlé, vous savez ça c’est du calvaire et ma mère, c’était une brave femme, mais lorsqu’il arrivait quelque chose elle était tétanisée… Une petite amie que j’avais à l’école me dit : « Solange cours vite chez ta mère parce que je crois que ton petit frère est mort ». Evidemment j’arrive, je trouve ma mère en catastrophe avec mon petit frère qui a doublé de volume, tout ça était brûlé, et mes parents ont mis plus de dix ans à en sortir, parce que mon frère s’en est remis à la croissance, mais il y a eu toutes ces années à passer, toutes les semaines mon père allait à la clinique à Carnac pour faire passer une sonde pour que l’œsophage ne se soude pas parce qu’il était alimenté par l’abdomen. Les épreuves te forgent. …

A cette époque, il y avait une infirmière qui s’appelait Anne GARNIER à Kerhostin qui était une brave femme et il y avait un docteur qui s’appelait BONVALLET à Portivy. On a dit à ma mère tu ne peux pas le laisser comme ça, il avait la peau qui plissait, le docteur arrive, il le regarde puis il le jette comme ça sur le lit ; cela m’avait heurtée, ça m’a fait mal, il n’avait plus que la peau et les os, ses grands yeux qui sortaient de sa tête, ma mère était désespérée, nous venions d’avoir juste les quatre murs, elle dit : « Docteur j’ai pas grand-chose, vendez tout mais sauvez mon fils ». Mon père qui avait déjà eu quatre filles, était fou : « Quatre pissouses, j’en veux plus » et lorsqu’il a eu son fils il a fait une fête, le brave homme, j’étais la marraine, il a fait une fête dans le village de Kerhostin. Il n’y a pas une personne qui a été oubliée avec les dragées et puis les douceurs et pourtant il n’était pas riche. Lorsque je me souviens de ça, on fait avec peu mais il était tellement heureux : un garçon ! Un garçon !
Kerhostin avant guerre


Ma mère était de la même famille qu’ Alice PERRET qui tenait le café sur le port de Portivy Je l’ai bien connue, étant enfant, j’allais chez elle. Son frère, Yvon PERRET, était si beau. Toutes les filles étaient amoureuses de lui. Il était tellement beau ! Moi j’étais en admiration, il faisait tâche par rapport à tous les autres garnements, on le remarquait.
Ici nous avons été « enfermés » neuf mois [d’août 44 à mai 45]. A la fin de la guerre plus rien ne rentrait ni ne sortait de la Presqu’île. Les Allemands étaient dans la Presqu’île et les Alliés sur le continent. Alors ils se disaient bonjour alors fuuuu… lorsque tu entendais ça siffler au-dessus de ta tête tu te disais planque-toi dans le fossé. On nous avait dit : il faut aller sur Quiberon parce que ça canarde entre Carnac, le Fort et le Bégo. Il y avait un « petit père », tout son patrimoine c’était sa vache, eh bien la vache avait été blessée, un obus était tombé et ma sœur a été blessée par la même occasion, elle avait eu un éclat d’obus à la tête. Tous les gens qui évacuaient Kerhostin, cela faisait une file, se sont planqués, ils se sont relevés des fossés : « Oh là, là ta vache ». Les autres en face voyant une file se sont dit : il se passe quelque chose et pan-pan. Je me dis pourquoi je suis en vie ? J’allais à Portivy à travers les champs, c’était un raccourci ; et là, j’étais en plein champ, un avion ; vou-vou… paf ! Du côté de la chapelle, il n’y avait plus rien. Il avait lâché deux bombes. Personne ne pouvait passer par les routes parce qu’ils avaient canardé les routes, ça avait fait de sacrés cratères et moi j’étais dans le champ et je regardais. J’aurais été disons un quart d’heure plus tôt, j’étais bousillée. Et après, cela m’a tellement marquée que les petits coucous qui passaient au-dessus de la Presqu’île, aussitôt que j’entendais vrouuu… n’importe où, je mettais ma tête même dans les épines, il fallait que je me cache. Ça m’avait marquée et ça m’a quittée bien longtemps après.
Mon père était marin au commerce et pendant la guerre que voulez-vous qu’il fasse ? Il était là. Chacun avait son petit lopin de terre, on faisait de tout, on faisait des pommes de terre, des tomates… Ma mère cultivait un terrain à ma grand-mère avec un petit carré d’oignons, elle me disait : « Tu te rends compte ce que ça a donné ? » On allait fouler les fanes pour que ça sèche. Elle me dit « Bah j’en vendrais quand même un peu » Eh bien il y a un voyou qui est passé par là et qui a ramassé les oignons. Un mauvais moment à passer.
Les Allemands à Penthièvre


Par contre, moi, j’ai connu une dame réfugiée de Lorient qui était infirmière. Elle était dévouée, parce que moi j’ai été gravement malade et, si je suis là, c’est bien grâce à elle. On ne mangeait pas. J’étais en pleine croissance. Aujourd’hui on parle de solidarité, eh bien je dis : « C’est un mot qui est dans le dictionnaire » La solidarité ce n’est pas lorsque l’on a que l’on en a besoin, c’est lorsque l’on est dans les difficultés que l’on doit être solidaire.
Le commandant que l’on a connu au Fort Penthièvre interdisait à ses soldats de voler, il les punissait sévèrement ; ma mère, un jour va chercher sa vache dans les champs et puis la vache fait un saut. Ma mère dit : « Mais qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui t’arrive à sauter comme ça ? » Et que voit-elle ? Un Allemand qui était dans les fourrés et qui venait de lui voler son lapin ; il lui a rendu le lapin, en larmes : « Pas dire, pas dire ! » parce que les soldats qui volaient étaient punis parce que ce n’étaient pas des voyous. Après on a eu une période où ce n’était pas la « crème », au début et même bien longtemps, nous avons eu des soldats qui respectaient ; ils venaient par exemple chez nous, ils demandaient : «Cigarettes ?» moi je confesse, mon père ne fumait pas mais il prenait ses cigarettes : « Fumer, fumer ! » ma mère avait des bouches à nourrir, on ne va pas passer à côté d’un billet vert alors qu’il y a du tabac dans le tiroir qui ne servira jamais à rien. Eh bien pour cela les “fameux F.F.I. » de la dernière minute, excusez-moi du peu, avaient mis des brassards et ils avaient dit à ma mère : « On t’attend là-bas ! On va venir te chercher pour t’emmener au tribunal militaire pour être jugée » Ma mère dit : « Viens, viens ! – c’était un voyou de Kerhostin – « viens, tu sais que j’en aurai des choses à dire, allez viens me chercher » On n’a jamais vu personne. Pour deux paquets de cigarettes !
Les Alliés là-bas et les Allemands ici, on entendait siffler au-dessus de la maison qui était un point de mire et on avait dit à ma mère : « Simone, prends tes enfants sous le bras et va à Quiberon il va t’arriver une bricole parce que ta maison ne tiendra pas, si elle gêne elle sera foutue en bas ». Ma mère venait de Quiberon à vélo voir si sa maison était tombée ! Nous avons été à Kerné chez une tante ; là aussi on peut se rendre compte que l’on peut être parents et avoir le cœur un peu serré, cette tante vivait à Kerné dans une très grande maison avec étage, tout était fermé puisque sa fille était à Toulon et l’autre travaillait je ne sais où, elle gardait ses deux petits-enfants de ses deux filles et elle pouvait nous recevoir, que nenni ! elle nous a reçus dans les communs… Elle était attachée à son bien alors que tout pouvait partir en flammes : il suffisait d’un obus ! Nous avions juste le droit de rentrer dans la cuisine qui était nickel. Nous sommes restés jusqu’à la fin de la guerre dans les communs.
Lorsque nous sommes partis à Quiberon, il y avait un soldat allemand, d’une cinquantaine d’années, qui pleurait parce, comment allait-il retrouver sa famille quand il allait rentrer ? Moi j’ai vu ça : l’Allemand : « Oh là, là ! guerre finie, guerre finie ! ah ! famille, famille ! » Mais les jeunes il fallait s’en méfier, ils avaient encore les griffes bien acérées. On m’avait dit : « Tu sais, fais attention parce qu’ils ne sont pas prêts d’accepter la défaite ». Par contre le vieux : « la maison, la maison ! » mais qu’allait-il retrouver ? Moi j’étais enfant, j’avais quand même douze-treize ans mais il y a des choses qui m’ont marquée ce sont des hommes comme nous. Effectivement c’était nos ennemis mais, je vais vous raconter un truc qui m’a marquée, lorsque les Allemands sont entrés dans la Presqu’Île, toute la population des petits villages, le moindre pékin, leur avaient fait la haie pour les voir passer ; ils étaient beaux sur leur chevaux, ils avaient bonne allure, ils avaient des costumes militaires superbes, en vieillissant lorsque j’y repense, je me pose des questions, je me dis : « Tous les gens auraient dû aller se cacher » Eh bien non ! ils leur faisaient la haie !
A l’arrivée de nos libérateurs, moi j’étais à Quiberon ; c’est fou, les femmes sautaient sur les soldats américains pour les embrasser, elles montaient dans les jeeps c’était de l’indécence. Il y avait ma mère, mes deux petits frères qui avaient dix et onze ans et puis moi. Je voyais ces soldats sapés de beau et qui jetaient des oranges ; tu pouvais être écrasé par les adultes pour avoir une orange. J’avais réussi à en avoir une, eh bien mes deux frères, ma mère et moi nous avons partagé l’orange : nous avons suçoté deux petits quartiers, c’était le bonheur. Tu n’écrases pas un enfant parce que tu as manqué. Nous avons eu des moments difficiles.
Après la guerre, il y a eu l’épuration. Il y avait Jo de Kerhostin qui avait fait passer des résistants sur le continent sur un petit youyou ; eh bien à la Libération il y a eu les gendarmes qui ont fait une enquête, ils ont posé des questions à sa mère qui a répondu, mais prise d’un soupçon, elle a dit qu’avant de signer la déposition elle voulait quand même relire ce qui avait été écrit… Ces gendarmes de Quiberon avaient écrit tout le contraire de ce qu’elle avait expliqué. Ils enfonçaient ce garçon-là qui aurait pu être jugé pour collaboration alors que c’était le contraire. Vous vous rendez compte de la crapulerie des gens ? Cela a fait grand bruit.
Ainsi s’achève le récit des souvenirs de Mme Solange Sueur, à la mémoire encore très vive, quand elle nous relate les moments difficiles qu’elle a connu pendant la guerre. KER1856 remercie chaleureusement Solange pour son témoignage.