Témoignage du prêtre allemand Andréas WEIGLEIN sur le fusillage (sic) de six patriotes français
Jeudi après-midi j’ai reçu un télégramme du « Stab der 275.I.D. » qui se trouvait à ce temps à Redon. Me priant d’assister le lendemain pour l’exécution de six patriotes français, puisque l’aumônier allemand de la division était en permission ou en voyage. Comme réponse à ma demande : « pourquoi on n’appelle pas un curé français ? », on me répondit que ce n’était pas permis.
Le matin j’allais à l’exécution par auto à Penthièvre via Hennebont. La veille j’étais allé chercher le » Sanctissimum « (NDLR le saint sacrement) de l’église N.D. de Bonne Nouvelle à Lorient, parce que je ne voulais pas déranger le prêtre de Saint-Pierre. J’y arrivais à six heures où il y avait déjà une grande inquiétude sur tout le fort. Un lieutenant duquel j’ai oublié le nom [NDLR : peut-être SULLING ?] me conduisit dans une grande pièce de la casemate, qui servait comme chambre à coucher des soldats allemands. J’apercevais assis six hommes devant une grande table, lesquels on me signalait [sic] comme les six condamnés à mort. Près de la porte, c’était un factionnaire allemand qui faisait la garde avec sa mitraillette chargée.
Les six hommes avaient l’air faible, ils étaient non rasés depuis quelques jours. Je n’ai pas vu d’indice d’une torture de ces quelques hommes – ils étaient les premiers d’environ 93, qui sont fusillés à Penthièvre. Je les saluais et je me présentais comme aumônier catholique, qui a l’intention de les assister dans leur dernière heure. Ils étaient bien contents de trouver un homme, un prêtre, dans ce triste endroit, qui ne voulait que les aider, qui voulait les consoler avec consolations de notre religion, malgré que je portais l’uniforme d’ennemi. Nous parlions quelques temps, je leur demandais : « quel est votre pays ? Votre famille ? Je me rappelle encore bien des deux frère SAMSON [NDLR : Aristide et Joseph], qui disaient qu’ils avaient encore leur seule mère. Très bien je me rappelle de Léon FALLOT, qui était le plus tranquille. Je demandais à l’officier allemand pour la permission d’écrire les dernières lettres d’adieu pour les parents. L’officier donna la permission. Mais je les priais de se dépêcher, car il nous reste seulement une heure. Chacun écrivait encore une ou deux lettres pour ses parents. Quand ils avaient fini, je commençais de leur donner les sacrements.
D’abord je faisais un petit autel, car j’avais un crucifix et deux bougies, lesquels je mettais sur la table et sur la table je mettais la bourse avec le « Sanctissimum ». Alors je faisais un court sermon, je parlais de leur malheur… pour l’homme matériel que ce soit terrible et triste mais pour l’homme chrétien que ce soit une autre chose. Cela qui est la fin pour l’un, c’est le commencement pour l’autre. Certainement il est triste de devoir prendre adieu de tout le monde sur cette terre, de ses parents, de la vie sur terre ; mais pour les croyants la vie n’est pas perdue, mais elle continue chez son Bon Dieu. Sacrifiez votre dernière heure, votre mort pour vos chers, pour votre peuple, pour votre patrie ! » Ici dans votre milieu, entre nous et lui est présent Jésus-Christ qui vous accompagnerait à travers la mort, Lui qui disait : « c’est moi la vie et la résurrection, celui qui me croit, va vivre, malgré son corps mort ».
Alors je leur disais, je ne pourrais pas les confesser, l’un après l’autre, parce que je ne parle pas assez bien la langue française. Mais l’église a donné la concession de l’absolution générale, c’est-à-dire de recevoir l’absolution sans confession. Moi-même je leur disais une prière de contrition, aussi bien les prières, la préparation avant la Sainte Communion. Après ils se penchaient par terre et restaient comme cela longtemps.
Après quelques minutes un soldat venait dire que le temps est passé. Les gens demandaient le crucifix et ils embrassaient sincèrement et cordialement. Quelques-uns avaient encore un désir : un des frères SAMSON avait beaucoup d’argent avec lui (environ 10 000frs), qu’il voulait laisser parvenir à sa mère et il donnait l’argent à l’officier allemand, un autre donnait sa montre à bracelet pour son camarade qui était encore en prison.
J’allais ensuite à la place d’exécution. J’allais vers Léon FALLOT et priais avec lui : « mon Jésus ayez pitié de moi ! »

Voici ce qu’il dit avoir vu :
« … J’allais ensuite à la place d’exécution sous les murs de la citadelle. Là il y avait deux bouts de bois dans la terre, environ cinq mètres plus loin je voyais sept soldats allemands avec leurs fusils. A côté se trouvaient un médecin allemand et un juge de guerre de la division de Redon. Comme premier on amena Léon FALLOT et on ficela son dos contre le bois. Le juge a lu la condamnation en allemand et après en français. La cause était nommée « franc-tireur ». Sur la question du juge : « Avez-vous encore un désir ? » FALLOT répond : « Rien ». J’allais vers lui et priais avec lui « Jésus ayez pitié́ de nous ». Pendant que je me retirais et que les soldats tournaient le levier de sûreté, FALLOT s’écria « Vive la France ! ». Sur ordre les soldats firent feu et FALLOT tomba. Il a été détaché et déficelé. On l’a posé sur l’herbe, et après quelques instants le médecin constata sa mort. On porta le corps du mort à côté́. Où ? Je ne sais pas.
A ma demande « Qui fera l’enterrement ? » On me répondit: « Le curé de Saint-Pierre ». La même chose se répéta encore cinq fois.
En deuxième ce fût Aristide SAMSON. Je ne me rappelle plus la suite des autres. Ils venaient tous sans indice de peur, très courageux, comme des héros, comme des hommes qui combattent pour une grande idée. Les officiers et soldats qui étaient présents avaient aussi la même impression. Je quittai la place de l’exécution et même le soleil levant qui annonçait une belle journée d’été́ de juillet ne pouvait pas me consoler et je me demandais, pourquoi ces six hommes là devaient-ils mourir ? »
Mai 1945 : photos données par la famille Kerloch à Jo le Bourgès



NDLR – Il n’y eut pas d’enterrement fait par le curé de Saint-Pierre : les corps furent jetés dans une sorte de boyau souterrain d’une trentaine de mètres, creusé par les Allemands à partir d’un tunnel qui était primitivement profond de quelques mètres, tunnel qu’ils ont refermés sur les cadavres par trois épaisseurs de murs, distants de trois mètres les uns des autres et séparés par de la terre. Au moment de la découverte des corps, on relèvera sur les murs des inscriptions « Vive de Gaulle » et des croix de Lorraine entourées de « V », ce qui peut laisser craindre que tous ne fussent pas morts lors de la fermeture du tunnel…
Lors de son procès qui vit sa condamnation à mort, le colonel REESE n’hésita pas à prétendre : « la lutte en Bretagne était devenue impossible… à chaque carrefour, dans tous les villages, nos troupes étaient attaquées, mitraillées, décimées… nous ne trouvions devant nous que des adversaires qui n’acceptaient pas de se battre à terrain découvert ».
A la question sur le fait qu’aucun des cinquante détenus n’avait été jugé, REESE répondit « je le savais… mais cela ne présentait aucune importance. Les policiers m’avaient informé qu’il s’agissait de terroristes et qu’ils devaient être liquidés. L’ordre d’Hitler était pour moi la seule loi que je devais observer… Ma conscience ne me reproche absolument rien… Pour les F.F.I., le devoir était de tuer des Allemands… sans jugement eux aussi »
2 commentaires
Très bel article sur l’histoire dramatique du fort sous l’occupation. Merci pour ce partage historique.
J’ai pleuré quand j’ai vu le tunnel je n’ai jamais pu y retourner, et là, j’ai les larmes aux yeux.