De la Révolution de 1789 à « l’affaire de Quiberon » qui aurait pu changer le cours de l’Histoire.
1789-1791 : Etats Généraux et Assemblée constituante vers la première Constitution française.
1791-1792 : Monarchie constitutionnelle – chute de la Royauté – Convention nationale.
1792-1795 : abolition de la Royauté et proclamation de la République.
☞ Premier soulèvement contre-révolutionnaire en Vendée et en Bretagne en mars 93.
De la démocratie de l’an I à la dictature de la Convention. Création du Comité de salut public pour sauver la République.
La prise du Fort Penthièvre par le général HOCHE le 3 thermidor an III (21 juillet 1795)
HOCHE s’était fait précéder par l’ordre que voici :
« …La presqu’île de Quiberon sera attaquée aujourd’hui, 1er thermidor, à onze heures du soir. Le général HUMBERT, à la tête de 500 hommes d’élite de son avant-garde, et conduit par un guide que je lui enverrai, se portera sur le village de Kerhostin, en passant par la laisse de Basse-Mer, laissant le Fort Penthièvre à droite et la flotte anglaise à gauche. Arrivé près du village, il fera tourner brusquement à droite et courir jusqu’au fort dont il s’emparera en franchissant la palissade. Il égorgera tout ce qui s’y trouvera, à moins que les fusiliers ne viennent se joindre à sa troupe. Les officiers, sergents d’infanterie et canonniers n’auront point de grâce.
Le général de brigade BOTTA suivra HUMBERT dans le même ordre, avec le reste de l’avant-garde.
Il s’emparera de Kerhostin et fera fusiller tous les individus armés qui voudraient sortir des maisons ; les soldats sans armes qui viendront le joindre seront accueillis ; les officiers et sous-officiers seront fusillés sur-le-champ.
En arrivant dans la presqu’île, ces deux officiers généraux feront crier par leurs troupes « Bas les armes, à nous les patriotes ! »
L’adjudant-général MESNAGE favorisera l’attaque de HUMBERT, en attaquant lui-même les grand-gardes ennemis, il les culbutera, leur passera sur le corps et les poussera jusqu’au Fort. La palissade franchie, il suivra, par sa gauche, le fossé jusqu’à la gorge. MESNAGE ne fera pas tirer un coup de fusil, et fera passer à la baïonnette tout ce qu’il trouvera d’ennemis ; la troupe qui doit faire cette attaque sera l’élite du général VALLETAUX.
VALLETAUX soutiendra l’attaque de MESNAGE. Le général LEMOINE portera sa brigade à la hauteur de l’avant-garde. Il y laissera un bataillon avec deux pièces de quatre et marchera en bataille à la hauteur de la colonne VALLETAUX qu’il doit soutenir. Garde du camp deux bataillons de la réserve et le troisième de la demi-brigade, commandés par le général DRUT, qui fera tirer à boulets rouges vers les bâtiments qui voudront nous inquiéter… »
Mais toutes ces mesures ne purent être prises à temps et il fallut remettre l’attaque au jour suivant. Dans l’intervalle, quelques modifications furent apportées à la direction de la colonne de droite. MESNAGE devait entrer dans la mer à l’ouest et essayer d’escalader le rocher presque taillé à pic, sur lequel est bâti le Fort Penthièvre; on avait l’espoir que les prisonniers enrôlés le seconderaient.
Le 20 juillet, à onze heures du soir, l’armée sortit de son camp. A peine était-elle en marche sur la falaise, que la plus affreuse tempête se déchaîna. Le vent d’ouest soufflait avec violence, soulevait les flots et les brisait sur la grève, enlevant le sable fin de la plage et le roulant en épais tourbillons de poussière, chassant avec force la pluie, et la dardant au visage des soldats. En même temps les éclairs déchiraient la nuit et les coups continuant les coups, le tonnerre retentissait avec fracas. Les soldats aveuglés, étourdis, se tirant avec peine d’un sable détrempé dans lequel ils s’enfonçaient jusqu’aux genoux, n’entendaient plus de commandement, ne gardaient plus de direction. Les colonnes se rompaient, se mêlaient, étaient dans la plus affreuse confusion, et il était impossible d’y remédier. HOCHE fit faire halte et entra, avec TALLIEN et BLAD, dans la tente de HUMBERT, qui était encore debout sur la falaise. Là, soit puissance d’esprit qui laisse les hommes supérieurs maîtres d’eux-mêmes et leur permet de passer des occupations les plus graves aux plus frivoles, soit effort de volonté qui impose silence aux plus vives inquiétudes, qui comprime au fond du cœur les soucis préoccupants, pour faire monter au visage un air de confiance qui doit en communiquer aux autres, HOCHE, comme si son armée n’était pas à moitié en déroute, son entreprise à demi-manquée, du ton le plus léger, le plus charmant, emporta loin de la presqu’île ses auditeurs captivés, et les retint pendant plus de trois quarts d’heure au milieu de Paris, de ses spectacles, de ses plaisirs, de ses fêtes, puis, tout à coup s’interrompant « Assez de badinage, dit-il, il est temps de faire le général ! » Et sortant de la tente, quoique la pluie tombât encore avec force, il s’élança aux premiers rangs, appela ses généraux autour de lui, leur donna de nouvelles instructions, reforma les colonnes et les remit en mouvement. La presqu’île paraissait tranquille. Il semblait qu’on y reposât en sécurité sur la foi de la tempête. Le centre s’avançait donc avec confiance, quand tout à coup apparut une lueur suivie d’une détonation un des canonniers toulonnais chargés de la garde des retranchements avait, à la faveur d’une éclaircie, aperçu une longue ligne noire sur la falaise, et il avait fait feu.
La colonne de gauche était dans la mer depuis un quart d’heure ; les soldats regardaient avec inquiétude deux points noirs, deux canonnières anglaises embossées à peu de distance lorsque le coup de canon tiré sur la colonne du milieu retentit. « Voilà le centre découvert, se dirent-ils entre eux, maintenant gare à nous ! » Et, en effet, une minute ne s’était pas écoulée, que trois décharges successives les couvraient de mitraille, coupaient leurs rangs, et les rejetaient en tronçons sur la falaise. La surprise n’était plus possible, la pluie avait mouillé les fusils et on ne pouvait plus s’en servir, les troupes n’avaient donc que des baïonnettes à opposer à l’ennemi, la partie était trop inégale. D’ailleurs les soldats étaient découragés et beaucoup se repliaient déjà sur le camp. Hoche crut que l’entreprise était manquée, et il se mit à la tête de sept ou huit cents grenadiers pour repousser l’ennemi s’il tentait de sortir de ses lignes, et pour donner le temps à la colonne de droite de se dégager. Il ne se retirait que lentement lorsqu’il entendit quelqu’un accourir et l’appeler : c’était David que lui envoyait MESNAGE. Le fort était pris.
La colonne de droite avait marché en même temps que les deux autres. Arrivé sous le fort, au moment où la mer qui montait, commençait à mouiller les pieds des soldats, MESNAGE fit faire front, et commanda l’assaut. Il s’agissait d’escalader un rocher de granit de cinquante ou soixante pieds de haut, presque taillé à pic, et que les varechs et autres plantes marines qui le tapissaient, rendaient presque aussi glissant qu’une glace. Cependant, les soldats s’élancèrent, et, s’aidant les uns les autres, se tirant, se soulevant, enfonçant leurs baïonnettes dans les fentes des rochers, et s’en servant comme des échelons, ils gravissaient cette haute muraille. Douze ou quinze tombèrent sur les pointes du rocher et se blessèrent, mais ils eurent la force de comprimer les plaintes que leur arrachait la douleur, pour ne point trahir leurs compagnons. Plus on approchait du parapet qui couronnait le rocher, et plus on craignait le qui-vive ! des sentinelles. Quelle ne fut pas la surprise d’entendre, au lieu de ce cri redouté, ces paroles amies « Camarades donnez-nous la main ». En un instant, grâce à ce nouveau secours, on fut sur l’esplanade.
La pluie avait cessé. Le commandant du fort, M. de FOLMONT, sortait pour faire une ronde, quand il tomba au milieu des républicains. Un lieutenant de la Gironde ne lui laissa pas le temps d’appeler, d’un coup de sabre, il l’étendit mort. MESNAGE avait formé les premiers qui étaient montés. A leur tête il se précipita dans les corps de garde, dans les casernes, et criant « A nous les patriotes » attira les soldats et égorgea les officiers. Aussitôt, abattant le pont-levis il fit irruption dans les retranchements, prit à dos les canonniers toulonnais, les tua sur leurs pièces, ouvrit les barrières et introduisit dans les ouvrages le reste de la brigade VALLETAUX qui le soutenait. HOCHE rappelé ne tarda pas à arriver et embrassant MESNAGE à l’entrée du fort Penthièvre, il le salua comme « général de brigade ». Cependant quelques hommes échappés étaient allés porter l’alarme au village de Kerhostin, où était cantonné le reste du régiment d’HERVILLY. Les compagnies prirent les armes en toute hâte, et à mesure qu’elles se formèrent, les chefs les conduisirent au fort. « A nous les patriotes ! » crièrent encore les républicains, et les prisonniers enrôlés passèrent de leur côté, massacrant leurs officiers.
Une compagnie du Loyal-Émigrant et cinq ou six cents Chouans gardaient le camp retranché par les républicains. Ils allaient être exterminés jusqu’au dernier, lorsque le marquis de CONTADES ordonna la retraite. Ils essayèrent d’emmener avec eux le parc que l’on avait placé tout près du Fort, mais HUMBERT lancé à leur poursuite les força de tout abandonner.
Il faisait grand jour. Les hommes que les coups de canon partis des retranchements et des canonnières anglaises avaient mis en fuite, approchaient du camp de Sainte-Barbe. Déjà, les représentants y étaient rentrés, quand Rouget de Lisle en se retournant, crut voir le drapeau républicain sur le fort Penthièvre : dix de ceux qui étaient près de lui regardèrent aussitôt : c’étaient, en effet, les couleurs tricolores qui flottaient au mât de pavillon. Tous, alors, poussèrent un cri de victoire. A ce cri, le général BOTTA qui avait eu le pied brisé par un Biscayen et que l’on soutenait sur son cheval, voulut qu’on le retournât, et la vue de son drapeau triomphant endormit un instant ses douleurs. La foule des fuyards s’était arrêtée, elle aussi avait regardé, elle aussi avait poussé une longue clameur et reprenant sa course en sens contraire, elle se reportait vers le Fort. L’arrière-garde et les représentants s’y dirigeaient à grands pas. HOCHE s’était empressé d’assurer contre un retour de fortune, ce qu’un heureux coup de main venait de lui livrer ; il avait fait désarmer les ouvrages, traîner les canons dans le Fort, et les avait mis en batterie du côté de la presqu’île. LEMOINE arrivait, HOCHE lui confia la garde du Fort Penthièvre et s’apprêta à poursuivre sa victoire.
HUMBERT avec 1 500 hommes d’élite, de la cavalerie et du canon continua à tenir la gauche. VALLETAUX, avec une colonne de même force la droite, et HOCHE à la tête de 700 grenadiers s’avança au centre. MERMET commandait une réserve. Réveillé par les coups de canon des retranchements, PUISAYE, dont le quartier général était au bourg de Saint-Pierre à une demi-lieue en arrière du fort Penthièvre, en sortait pour aller voir ce que signifiait cette attaque au milieu de la nuit, quand il rencontra un canonnier toulonnais, la figure ensanglantée. Presque au même moment un cavalier que lui envoyait le marquis de CONTADES lui apprit que le Fort Penthièvre était au pouvoir des républicains, et les autres ouvrages forcés. La première pensée de PUISAYE fut de marcher au fort et d’en chasser l’ennemi et il fit dire à SOMBREUIL dont les troupes étaient cantonnées à Kerhostin, de rassembler sa division et d’accourir au plus vite.
Cependant la terreur s’avançait menaçante et poussait devant elle une foule éperdue. Hommes, femmes, enfants se précipitaient en criant vers le port d’Orange, pour s’y embarquer et gagner la flotte anglaise qui était mouillée à plus d’une lieue dans la baie. Mais les bateaux étaient à sec et la mer qui commençait seulement à monter, en mouillait à peine la coque. Il fallait encore attendre plusieurs heures avant qu’ils ne fussent à flot. N’importe, on s’entassait dedans, sans penser que le poids dont on les surchargeait ne faisait que retarder l’instant de la délivrance, En vain PUISAYE essayait-il de le faire comprendre à cette multitude que le danger mettait hors d’elle-même, la frayeur fermait les oreilles ; ordres, prières, menaces, elle n’entendait rien. PUISAYE ne pouvait même pas former une seconde ligne pour appuyer le marquis de CONTADES, les comtes de VAUBAN et Du BOIS-BERTHELOT, qui, avec les chouans et les restes du « Loyal-Émigrant », se retiraient lentement devant l’ennemi ; il chargea son domestique de rassembler ses papiers et partit au galop pour rejoindre SOMBREUIL, il le trouva au village de Kernavest, vers le milieu de la presqu’île, lui fit prendre position sur une butte, auprès d’un moulin, et là, se concerta avec lui. Le fort pris, l’armée sans appui, les soldats saisis d’effroi, que restait-il à faire, sinon à se rembarquer au plus vite? Mais la flotte anglaise, qui seule pouvait en fournir le moyen était mouillée au large. Il avait été convenu avec l’amiral qu’en cas de péril on hisserait un fanal au mât de pavillon ; dans le trouble qui avait suivi la surprise du fort, personne n’avait eu l’idée de donner ce signal et la pensée en fut-elle venue, qu’on n’aurait pas eu le temps de le faire. Si seulement les Anglais pouvaient distinguer le drapeau qui flottait sur le Fort Penthièvre ? Mais le ciel était bas, l’air chargé de nuages, la mer couverte de brumes ; selon toute apparence ils ne se doutaient pas de la cruelle situation des émigrés…
Source : Gallica – Lazare Hoche, d’après sa correspondance et ses notes / par Claude Desprez