Maryvonne Rio, Jean-Claude Le Falher et André Guillas ont participé au café-rencontre de KER1856 en mars 2025, cette animation était associée à notre thème annuel sur la Seconde Guerre mondiale. De leurs témoignages bouleversants ont découlé un entretien puis cet article, qui apportent un éclairage sur ces trois noms de résistants peut-être tombés un peu dans l’oubli.
Des noms de rues
Rue Émile GUILLAS, Rue Jean RIO, Rue Joseph LE BOURGES, Rue Constant VINET, Rue Marthe DELPIROU, Place Maxime TUFFIGO. Autant de noms de rues de Saint-Pierre qui renvoient à des personnages ayant habité la commune, mais en voyant ces noms nous ne savons pas toujours à quelle histoire les raccrocher.
On sait que leur point commun est la Guerre de 39-45, mais sans avoir plus d’informations.
Si vous êtes un habitué du blog de KER 1856, vous connaissez Marthe DELPIROU « une femme extraordinaire ». Nous avons publié un long article sur cette résistante qui chérissait Saint-Pierre Quiberon, sa famille en étant originaire. Elle a donné sa vie pour la liberté et elle est décédée probablement à RAVENSBRÜCK, le sinistre camp de la mort.
Vous connaissez également Joseph LE BOURGES : il s’agit du grand-père du président de notre association, qui s’est illustré dans le maquis de SAINT MARCEL.
Quant à Maxime TUFFIGO, nous vous en reparlerons lorsque nous évoquerons les martyrs de Saint-Pierre.
Mais Émile GUILLAS, Jean RIO et Constant VINET, qui étaient-ils ? Ce sont bien des noms de la commune, mais pourquoi a-t-on donné leur nom à une rue ?
La famille, les origines de Jean RIO et Émile Guillas
Jean RIO et Émile GUILLAS étaient cousins par leurs mères, Marie-Louise et Marie-Ange LAIZAIN.
Leurs grands-parents maternels, Étienne LAIZAIN et son épouse Marie-Josèphe LE MAGUER, sont venus s’installer à Saint-Pierre Quiberon après la Première Guerre mondiale, à Keridenvel, rue de l’Eolienne. Étienne était agriculteur, et Marie Josèphe a été de nombreuses années « journalière » à la ferme maraîchère de la famille HEMERY route du camp militaire.

Marie-Louise LAIZAIN née en 1898, s’est mariée avec Jean Marie RIO. Après avoir habité Ploemel, ils ont pris une ferme en location en 1923 au village de Kerné, puis ils ont acheté une ferme au village de Kervihan en 1931.
Marie-Ange LAIZAIN née en 1893, s’est mariée avec Joseph GUILLAS (pensionné de la guerre 14-18, grièvement blessé à une jambe). Après avoir habité à Saint Philibert et Auray, ils ont d’abord acheté une maison près de l’église de Saint-Pierre Quiberon, puis fait construire une maison en 1931 route de Kervihan à Kerboulevin (actuelle rue Barr-avel)
Jean RIO

Il est né le 23 juin 1922 à Ploemel et est l’aîné d’une fratrie de neuf enfants (7 filles et 2 garçons). Après avoir obtenu son certificat d’études à l’école publique de Saint-Pierre Quiberon, il embarque à 14 ans comme mousse sur un thonier puis comme marin de commerce à la compagnie de navigation « Bush » à Marseille, principalement pour les liaisons avec le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.
A partir de l’automne 1942, comme la navigation de commerce se réduit du fait de la guerre et des Allemands, il rentre à Saint-Pierre en janvier 1943
Requis par le STO (Service de Travail Obligatoire) en mars 1943, il est envoyé en Allemagne. En janvier 1944 il trouve un motif pour obtenir une permission pour rentrer en France. Au terme de sa permission, il ne retourne pas en Allemagne, et est recherché par la police allemande. Il se cache d’abord dans sa famille à Ploemel, puis rejoint le maquis de Saint-Bily, puis le maquis de Saint-Marcel.

Émile GUILLAS

Émile est né à Saint Philibert le 3 février 1925, et il est le deuxième enfant d’une fratrie de quatre (1 fille et 3 garçons). Son père, pensionné de guerre, n’avait pas le droit de travailler, et sa mère Marie-Ange s’occupait de leur petite ferme route de Kervihan (deux vaches, un cochon et des légumes). Après avoir obtenu son certificat d’études à l’école publique de Saint-Pierre, il intègre l’école d’apprentissage maritime de Quiberon jusqu’en 1940.
De janvier à juin 1941, il travaille sur des chantiers à Auray et Gestel; il prend le fameux train d’ouvriers de 5h30 du matin. En juin 1941, il entre à la compagnie de navigation Delmas à Marseille comme marin de commerce sur les liaisons maritimes vers le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.
Les deux cousins y retrouvent François LAIZAIN leur oncle, plus âgé d’une dizaine d’années, qui est comme eux marin de commerce sur les mêmes lignes.


Pour les mêmes raisons que Jean RIO, il revient à Saint-Pierre en janvier 1943.
Émile travaille à la ferme et est aussi réquisitionné (comme son père, pourtant invalide de guerre) pour travailler sur différents chantiers du « Mur de l’Atlantique ».
En juin 1943, il rejoint le groupement de la Résistance de Quiberon commandé par le capitaine Baptiste LE GUENNEC (alias commandant Constant). Il est arrêté une première fois, pour actes de résistance, et est interrogé à Vannes du 17 au 21 juillet 1943 puis relâché faute de preuves.
Le 1er juin 1944 il rejoint son cousin Jean RIO dans les maquis de Saint-Bily et Saint-Marcel.
L'arrestation et l'envoi en camp
Après l’attaque du maquis de Saint-Marcel par l’armée allemande fin juin, ordre est donné aux résistants de se disperser.
Jean RIO, Émile GUILLAS, Constant VINET et Victor FORTUNE rentrent à Saint-Pierre pour se cacher.
Ils sont arrêtés dans la nuit du 28 au 29 juin, probablement à la suite d’une dénonciation par une personne de Saint-Pierre qui devait bien connaître les quatre familles, et savoir que les fils étaient rentrés se cacher.
Constant VINET, né en 1906 et père de quatre enfants, habitait la maison au toit de tuiles qui se trouve face au stade de Saint-Pierre. Membre du groupement de la Résistance de Quiberon, il fut arrêté le premier à 3h00 du matin.
Jean RIO est arrêté en second, malgré la tentative de son père et de ses sœurs d’empêcher son arrestation. Les soldats allemands ont utilisé leurs armes et Anne la sœur de Jean, n’a eu la vie sauve que grâce à l’enrayement d’un fusil.
Marie Louise RIO, la mère de Jean, a tenté de prévenir sa sœur Marie-Ange GUILLAS en courant de nuit à travers champs, mais les Allemands étaient déjà sur place lorsqu’elle est arrivée.
Ils ont également arrêté Victor FORTUNE qui était voisin d’enfance et ami de famille des GUILLAS. La famille FORTUNE habitait une maisonnette SNCF qui se situait en direction de Quiberon à environ 300 mètres du passage à niveau de la rue de Barr Avel. A cette époque il y avait deux maisonnettes, une au passage à niveau actuel et la deuxième, occupée par la famille FORTUNE, qui le soir allumait un feu rouge placé sur un mât pour prévenir les mécaniciens des locomotives de la courbe située avant la petite descente du Parco.
Les quatre Résistants ont été conduits au Fort de Kernavest, puis au Fort Penthièvre et ensuite à la prison de Vannes pour y être interrogés.
Émile GUILLAS a réussi à transmettre un mot à ses parents, demandant de lui envoyer quelques vêtements et provisions, et de prévenir les autres familles.
Pour envoyer les colis, Émilie RIO (19 ans) et Marcelle FORTUNE (20 ans) ont fait à vélo la même journée Saint-Pierre-Vannes, Vannes-Port Louis et Port Louis – Saint Pierre (avant le couvre-feu). Les prisonniers avaient été envoyés à la citadelle de Port Louis avant leur transfert à Rennes. Elles n’ont malheureusement pas pu voir les prisonniers.


Émile GUILLAS, Jean RIO, Constant VINET et Victor FORTUNE (qui aurait profité d’un transfert de train à Belfort pour s’évader) ont été transférés à Rennes, puis à Belfort et déportés au camp de NATZWEILER-STRUTHOF en Alsace (seul camp de concentration en France) .
De là ils furent transférés fin août 1944 vers le camp de concentration de DACHAU, où ils sont arrivés début septembre. Ils seront affectés au camp de travail de Hallasch, qui est un camp satellite de DACHAU servant d’usine d’armement pour les moteurs d’avion BMW. Ils étaient affectés à l’extraction de pierres dans une carrière pour la construction d’un dôme de béton pour protéger l’usine.
Émile GUILLAS est mort le 1er décembre 1944, à l’âge de 19 ans , d’épuisement, de froid, de faim, des coups, des tortures, de maladie (épidémie de dysenterie) d’après le témoignage de Jean BRABANT du Faouët seul témoin survivant en mars 1945.

Jean RIO a été transféré du camp de Hallasch vers le camp de Vaihingen début 1945. Ce camp était un camp mouroir pour les prisonniers malades qui n’étaient plus en état de travailler. Il est mort le 21 février 1945 à l’âge de 22 ans dans les mêmes conditions que son cousin.
Constant VINET est mort le 1er février 1945 à l’âge de 39 ans à Dachau-Hallasch.
La commune a honoré ces trois personnes, mais il serait intéressant de mentionner que les trois sont morts pour la France, en déportation, à un jeune âge.
Annexes : fiches de déportés politiques




Il y a des familles plus touchées que d’autres. Le frère de Jean RIO, Roger, né en janvier 1929, faute de travail après la guerre, s’est engagé dans l’armée française. Il était pilote de char. Il a été envoyé en Indochine en 1949. Son char a explosé sur une mine, et il est décédé à l’âge de 21 ans.