A la veille de leur reddition, quelles étaient les pensées des soldats allemands dans la « poche » ? Dans la mesure où l’on peut s’en rapporter au témoignage, spontané, de l’un d’entre eux, nous pouvons répondre à cette question. En effet nous avons eu communication de plusieurs lettres qu’un Allemand de la presqu’île adressait au début d’avril 45 à sa famille.
Les occupants pouvaient correspondre avec l’Allemagne puisque le 31 mars, l’un d’entre eux écrivait :
« … depuis le 17 février nous n’avons plus eu de courrier… ».
Qui était-il ? Vraisemblablement un homme d’une certaine éducation, de culture catholique car il écrivait :
«… je prie tous les soirs et tous les matins ma mère et notre ange qu’il ne nous arrive rien à tous deux et que notre foyer soit épargné… »
Dans une lettre datée du 4 avril, il indique comment il a marqué la fête de Pâques :
« … J’avais encore deux lapins. J’en ai tué un et nous l’avons mangé à trois. J’en ai encore un mais je vais le vendre pour avoir du tabac ; je ne pense plus qu’il serve à quelque chose de recommencer à en élever maintenant… ».
Sa principale préoccupation était matérielle :
« … la nourriture et la boisson ne sont pas mauvaises… » écrivait-il dans une lettre du 8 avril ; « … seulement il n’y en a pas assez, nous avons toujours faim. Aussi beaucoup de camarades sortent la nuit pour chiper quelque chose aux paysans sans se soucier de la punition sévère qu’il pourrait leur être infligée par le conseil de guerre s’ils se faisaient prendre. Avant nous touchions, le soir à 16h, par homme et pour deux jours, une demi-boule de pain avec un bout de saucisson ; pour lundi, il ne me reste qu’un peu de beurre et pour mercredi un peu de marmelade, nous ne toucherons que mercredi soir un autre pain. Maintenant un pain doit faire cinq jours. A 16h30, j’ai déjà mangé la moitié du mien. Lorsque j’aurai fini ma lettre, je mangerai le reste et tâcherai de ne plus penser au pain jusqu’à mercredi… » écrit-il le dimanche.
« … A Pâques nous avons fini tout ce qu’on avait. Jusqu’alors on pouvait encore avoir pour le soir, par un paysan, quatre, cinq à six litres de lait. Mais cela aussi c’est fini car il a fallu livrer deux nouvelles vaches à la citadelle. Assez causé de mangeaille, plus on en parle plus on a faim… »
Mais d’autres soucis troublent notre Allemand et sans doute aussi ses camarades :
« … Comment cela va-t-il là-bas ? Réussissez-vous encore à manger suffisamment ? Heureusement les Russes ne sont pas encore arrivés chez vous et ont pu être contenus, autrement ce serait terrible ! Mais que vous réservent les semaines qui viennent ? Les Anglais sont à Heidelberg et les Français au nord de Karlsruhe. Bien que les communiqués n’aient plus parlé d’attaques contre Schw… ».
« … Mais si encore tout allait bien à la compagnie, mais il n’y a rien à faire avec le capitaine. Au début, c’était un bon garçon. Mais depuis que nous sommes encerclés, il a complètement changé et aucun soldat ne peut plus le voir, un certain nombre d’officiers ne peuvent plus le voir non plus. Le soldat peut faire du travail, mais nourris comme nous le sommes, le rendement ne peut plus être le même qu’avant et le type ne veut pas s’en rendre compte. Bref ! Rien ne va plus, et ce conquérant n’espère plus que se retrouver bientôt près de sa femme et son enfant… »
« … Il y a huit jours et même seulement trois jours, j’espérais encore qu’un miracle me permettrait d’être à la maison ; mais par ce temps de tristesse il n’arrive plus de miracles… »
La réalité est là, tragique :
« … Le gouvernement du Reich ne veut rien entendre et les paroles d’Hitler : « Si nous démissionnons, c’est toute la nation qui démissionne » font (ou peut-être laissent) croire qu’il préfère laisser tout anéantir plutôt que d’abandonner une lutte sans issue, je veux quand même espérer que le peuple aura assez de compréhension pour faire la seule chose qui reste à faire pour sauver vos existences. Ah si je pouvais parler quelques instants avec vous ! J’espère qu’il y a encore dans le Schw… « rouge » assez de têtes intelligentes et pas seulement des idiots… »
D’après un Article d’Henri JOUNEAUX – Ouest-France du 6 mai 1945