Anne Vigoureux née en 1915, rescapée des camps de concentration, a écrit ce texte en 2005 pour témoigner de l’horreur des camps de concentration.
Arrêtée le 17 octobre 1943
Je suis née le 26 mars 1915 à KOGENHEIM dans le Bas-Rhin.
J’ai été arrêtée par la Gestapo le 17 octobre 1943 à Toulouse en même temps que mon mari Frantz VIGOUREUX, pour avoir caché et recueilli des familles d’Israélites de Paris qui étaient recherchées par les Allemands.
Je fus emprisonnée à la prison Saint-Michel[1] à Toulouse, pendant deux mois et demi, c’est-à-dire depuis mon arrestation jusqu’à la fin janvier 1944, date à laquelle je suis dirigée sur Compiègne où les Allemands regroupaient les internés en vue de leur départ pour l’Allemagne.
Le 31 janvier 1944, je pars pour les camps de déportation, avec neuf cent cinquante-sept autres femmes. Parmi nous se trouvait Geneviève de GAULLE. Nous sommes montées dans des wagons à bestiaux, chaque wagon contenait environ quatre-vingts personnes, de tous âges, même des malades et des femmes enceintes de six à huit mois.
[1]Cette prison aux allures extérieures de château fort du Moyen Âge à l’architecture atypique en étoile a été construite sous le Second Empire de 1861 à 1869 dans le quartier Saint-Michel. Désaffectée en 2010, un lieu de mémoire dans ce que l’on appelle le castelet, soit l’entrée qui donne rue Saint-Michel, a été ouvert en 2020.
Ravensbruck
Après plusieurs jours de transport dans des conditions épouvantables, j’arrive avec les rescapées, à cinq heures du matin, par une température glaciale, à la gare de Ravensbrück, située à cinq cents mètres seulement du camp de déportation. Cinq cents très longs mètres parcourus à pied, entourées par les SS et leurs chiens qui nous harcelaient et nous terrorisaient en aboyant sur chacune d’entre nous !

Toutes nos affaires personnelles et nos vêtements nous sont enlevés et c’est le départ vers les douches, toutes nues. Après les douches, chacune d’entre nous reçoit une robe rayée et des sous-vêtements comme en portaient nos grand-mères : ce qui nous enlève (et c’est le but recherché par les nazis) ce qu’il reste de toute notre personnalité.
Dans cette antichambre de la mort où tout est conçu pour aider à faire disparaître toute humanité, notre individualité est résumée à un chiffre tatoué sur le bras. Le chiffre 27 628 est ma nouvelle identité.
Etant donné l’importance de notre convoi, qui fut le plus grand convoi de femmes françaises, à notre arrivée au camp, les blocks qui devaient nous recevoir n’avaient pas été désinfectés, ce qui a vite entraîné une épidémie de diphtérie et de scarlatine, scarlatine dont j’ai été la victime.
Après quatre mois de quarantaine, je suis partie pour Hanovre, dans une usine de masques à gaz, en remplacement des déportés qui avaient été tués lors d’un bombardement allié.
Bergen-Belsen
Dix mois se passent, nous apportant notre lot de misères et les troupes alliées approchant, nous sommes dirigées vers le camp de Bergen-Belsen, que nous atteignons quatre jours après. Quatre jours et quatre nuits de marche, dans des conditions excessivement dures qui font que nous étions toutes exténuées à l’arrivée dans ce camp sinistre appelé à juste titre le « camp de la mort ».

Entassées dans un block à l’extrémité du camp, nous n’avions pas de paillasses et nous étions allongées les unes sur les autres, à même le sol.
Au milieu de la nuit, arrive un transport de femmes hongroises, ce qui fait que nous sommes deux mille parquées dans un endroit limité.
Le typhus se déclare et ce qui se passe est absolument indescriptible : les mortes se comptant par milliers, des soldats hongrois ramassaient les corps décharnés, du matin au soir, les traînant par les pieds, d’autres étaient chargés dans des camions et emmenés vers une grande fosse où ils étaient jetés, pêle-mêle, brûlés avec de la chaux vive, car le combustible manquait.
La libération

Nous sommes libérées par les Anglais le 15 avril 1945 et les soldats exécutent le même travail que les Hongrois mais au moins nous ne sommes plus en butte aux traitements plus qu’inhumains infligés par nos geôliers nazis et autres kapos.
J’attrape le typhus au bout de quelques jours et me traînant vers une femme que j’avais vue à Ravensbrück, je tombe littéralement sur un tas de cadavres où je reste couchée avant que l’on m’enlève de cet endroit où j’attendais la mort.
Je suis transférée dans une caserne militaire où je reste trois semaines dans une inconscience totale avec une fièvre très forte. Je voulais toujours boire de l’eau dès que je voyais une carafe. On m’a souvent ramassée par terre aussi bien le jour que la nuit, probablement en quête d’eau et en proie aux malaises.
Le traitement était très restreint, la dysenterie très accélérée et pendant ces trois semaines le nombre de camarades connues ou inconnues qui sont mortes a été considérable.
Ma convalescence (et celle de mes camarades) se passa en promenades dans un endroit nettement localisé, du fait que nous étions contagieuses, et cet endroit était entouré et complètement isolé par des fils de fer barbelés.
Par l’intermédiaire d’une jeune femme d’environ vingt-cinq ans, faisant partie du 2ème bureau, nous avons appris qu’il y avait un départ pour la France. Cinq camarades et moi-même avons rempli les papiers nécessaires pour la sortie du camp.
Etant donné mon état physique et psychique, les souvenirs de mon retour de déportation sont absolument vagues. Je me rappelle que je suis sortie du camp en camion puis le voyage s’est poursuivi en chemin de fer jusqu’à Paris en gare de l’Est où mes camarades rescapées et moi avons été transportées en car jusqu’à l’hôtel « Lutétia » le 28 mai 1945.
Après plusieurs jours de repos, je pars dans ma famille en Alsace, famille que je n’avais pas revue depuis près de six ans.
Fait à Kerhostin le 19 avril 2005
Hommage rendu à Anne Vigoureux
Anne Vigoureux a écrit ce texte , à Kerhostin où elle habitait, près du camping. Ce texte a été lu par Roger Vinet à l’occasion d’une cérémonie organisée par les communes de Saint-Pierre et de Quiberon le 29 avril 2005, veille de la Journée nationale de la Déportation. Roger Vinet, ancien Résistant et interné, est toute sa vie resté très actif dans les associations d’anciens résistants, internés et déportés, où il a connu Anne Vigoureux.
