Association pour la découverte et la promotion du patrimoine de St Pierre

Marthe Delpirou: une femme extra-ordinaire

Extrait de l'article

Tous les St Pierrois(es) connaissent la rue Marthe Delpirou. Cet article nous raconte qui était cette femme extra-ordinaire.

Participants à la rédaction de cet article

Jean Claude Martin
Source : conférence de Jean Michel Kervadec en 2011
Histoire racontée par Histoires de Mots le 15 mai 2022

Copie des images et textes interdite sans l'autorisation de KER1856

Marthe DELPIROU, née le 21 octobre 1900 à Nantes en France et morte le 25 février 1945 à Ravensbrück en Allemagne, est une avocate et une résistante française, membre de Combat Zone nord.

Docteure en droit, secrétaire d’Elizabeth Dussauze, membre du groupe Ricou (Elizabeth Paul Dussauze et , Tony Ricou, Charles Le Gualès de la Villeneuve, Philippe Le Forsonney), elle est arrêtée le 28 juin 1942 par la Geheime Feldpolizei.

 Emprisonnée à Paris, elle est déportée à la prison de Sarrebruck, en vertu du décret « Nacht und Nebel ». Elle est condamnée le 15 octobre 1943 à deux ans de travaux forcés par le 2e sénat du Volksgerichtshof (Tribunal du Peuple). À l’expiration de sa peine, elle est envoyée au camp de Ravensbrück. Elle y meurt le 25 février 1945.

La fiche Wikipédia est succincte et relate la vie d’une femme engagée, une des pionnières de la Résistance en 1940.

Mais qui sait que Saint Pierre Quiberon était son port d’attache que ce soit par ses origines, mais aussi par affection. Émilie Aimée dite Thalie, sa mère, était la sœur de Marie BARON épouse LE GLOAHEC, la famille du célèbre maire de Saint Pierre, Célestin Le GLOAHEC, aux 54 années de mandat.

La villa « Er men Guen » qui était la maison de famille, fut construite en 1932 dans la rue qui porte actuellement le nom de Marthe DELPIROU.

Rue Marthe Delpirou de L’église à Kerbourgnec

Marthe est née à Nantes, fille de Charles DELPIROU, négociant en vin, le 21 octobre 1900. Elle a fait ses études à Nantes et a présenté sa thèse de docteur en droit à Rennes en 1929, puis en 1933 est «montée» à Paris où elle a travaillé dans un cabinet d’assurance réputé, puis dans un cabinet agréé auprès du Tribunal de commerce, enfin au service juridique de l’Union des Industries Métallurgiques (UIMM). Elle était une jeune femme active et sportive (canotage, pêche, automobile), « bien dans sa peau ».

Septembre 1939, la France entre en guerre, juin 1940, le maréchal Pétain annonce l’armistice, 18 juin 1940 le général de Gaulle lance son fameux appel.

Dès le début de l’Occupation, Marthe entre en résistance et rejoint le groupe RICOU par le biais de relations professionnelles. Ce groupe appartenait au réseau « Hector » puis au réseau « Combat Zone Nord ». Le groupe »Hector » avait des groupes d’action et une organisation de presse clandestine.

Comme tous les groupes de Résistance, celui de Marthe était infiltré. L’agent infiltré, Jacques DESOUBRIE qui fut responsable de l’arrestation d’un millier de personnes et de la dénonciation de 168 aviateurs, fut condamné à mort en 1947 et exécuté en 1949.

Il faisait partie de la Geheime Feldpolizei (police secrète militaire). Après les premières arrestations qui eurent lieu en février 1942, les 5 premières personnes arrêtées furent emprisonnées à Fresnes, le groupe restant, dont Marthe, deviendra le noyau du grand mouvement de résistance « Ceux de la Résistance »(CDLR).

Hélas, le 30 juin 1942, Marthe fut interpellée dans le petit appartement qu’elle occupait avec sa mère au Champ de Mars. Puis  fut emmenée par la Gestapo à la prison de la Santé où elle resta quelques jours, avant d’être transférée, ainsi que tout le groupe y compris ceux arrêtés en février vers l’Allemagne, sous le contrôle de la Gestapo de Sarrebruck.

L’instruction du procès durera 13 mois ( de juin 1942 à octobre 1943). Mais confiante, Marthe écrit une lettre à sa mère en évoquant son petit nid de Saint Pierre espérant y revenir lors de prochaines vacances, et en demandant «au jeune François si pour faire plaisir à sa marraine il ne pourrait pas (…) peindre une rentrée de pêche sur la jetée de Portivy, et soit l’église de Saint Pierre ou mieux la chapelle de Lotivy, (…) que j’évoque notamment dans les petits poèmes que (…) je me suis composés, cela (…) ferait un bon souvenir».

Cette lettre ne fut remise à sa mère qu’en 1945 par Elizabeth DUSSAUGE dont Marthe était la secrétaire à l’UIMM et qui faisait partie du même réseau. Elle illustre la foi et la confiance de Marthe.

Le procès se tint du 12 au 19 octobre 1942, et aboutit à la condamnation des 32 agents arrêtés. 12 seront guillotinés à Cologne dans les 3 mois suivant le procès, 10 mourront pendant leur internement dont Marthe, 10 profiteront de la libération des camps (3 hommes et 7 femmes).

Marthe sera condamnée à 2 ans de travaux forcés après avoir passé 18 mois à Sarrebruck. Elle fut transférée à la forteresse de Lübeck puis à celle de Kottus. Sa peine courrait depuis le 13 juillet 1942.

Mais Marthe, comme nombreux de ses compagnons, ignorent que les dirigeants nazis considèrent que les prisonniers venant d’un pays ayant signé un armistice avec l’Allemagne, ne sont pas couverts par la « Convention de La Haye » concernant le traitement des prisonniers de guerre. Plus, suite aux directives de « Nuit et Brouillard »  Himmler a donné aux membres de la Gestapo les instructions comme quoi les condamnations aux travaux forcés envoient un « message de faiblesse », et que la seule force de dissuasion possible est «soit la peine de mort, soit une mesure qui laissera la famille et la population dans l’incertitude quant au sort réservé au criminel».

Malgré des conditions difficiles d’emprisonnement, Marthe fait lentement et consciencieusement mais sans jamais complètement les terminer les tâches qui lui sont confiées. Serviable et dévouée il lui arrive de faire le travail de compagnes plus faibles.

Le 13 juillet 1944, les deux années de travaux forcés s’achèvent. Elle est pleine de joie et dit à une de ses camarades « Puisque je suis libérée le 13, je pars directement à Saint Pierre et j’espère y arriver à temps pour aller avec ma maman au pèlerinage de Sainte Anne d’Auray le 26 » Hélas, les directives de « Nuit et Brouillard » la concerne. 15 jours plus tard, elle n’est toujours pas libre. En août elle est transférée  vers le camp « qui doit la libérer », le camp de Ravensbrück, tristement célèbre, à l’égal du camp de Auschwitz.

Camp de Ravensbrück

Quelle ne fut sa surprise en arrivant dans ce camp, qui doit la libérer, de voir les visages hagards et la tenue uniforme de ces femmes, la robe et la veste rayée des bagnards, à l’exception du triangle de couleur, rouge pour les politiques, noir pour les « asociaux » et les tziganes, violet pour les témoins de Jéhovah, vert pour les criminelles de droit commun, bleu pour les émigrants et rose pour les homosexuelles.

Ce camp de femmes était la dernière destination des détenues en fin de peine que l’on « mettait au camp ». Pendant 5 ans, 132 000 femmes dont 90 000 périrent furent internées dans ce « camp de la mort lente ».

 Marthe y subit, comme toutes les femmes, les sévices, les privations et la cruauté de ses gardiens et gardiennes, les garde à vous dans le froid (-35°) lors des appels, les colonnes, les travaux pénibles sans pouvoir lever la tête, ni s’arrêter plus de 20 secondes. Elle supporte les conditions de vie sans hygiène (les WC du camp de Lübeck sont loin), la promiscuité (2 par couche), les vols, la délation. Mais elle subit tout cela avec courage et dignité comme le montre cet exemple.

Camp de Ravensbrük

Un jour pour se rendre au block d’une de ses camarades, elle passe par un chemin défendu. Un SS la voit, la gifle et la jette à terre. Le sac qui renferme toutes ses petites affaires et que, comme toutes les détenues elle porte toujours avec elle pour éviter d’en être volée, va, dans la brusquerie du geste de ce SS voir son contenu s’éparpiller sur le sol. Sans un mot, sans un geste d’impatience, gardant tout son sang-froid, elle se baisse et ramasse ses pauvres choses les unes après les autres : un morceau de carotte…un petit bout de savon…un peigne. Puis en se relevant, elle dit simplement à une nouvelle arrivante qui la regardait, les larmes aux yeux : « tu vois ce qu’est Ravensbrück » !

Son courage impressionne ses compagnes, mais malgré celui-ci sa détermination s’effrite et l’accablement la gagne, elle connaît la sinistre infirmerie du camp (le « Revier ») qui fut le lieu d’expérimentation sur les femmes.

Et puis le 16 février 1945, moins d’un an après y être arrivée, elle est « en trop mauvais état » (jambes gelées et épuisement) et elle est transférée vers « un camp de repos ». Les allemands sentent le fin de la guerre, et il ne faut pas laisser de traces, donc les personnes malades et qui ne sont pas en état de marcher doivent être supprimées.

Marthe et les autres femmes sont entrées. Les portes se sont refermées.

Personne ne peut décrire ni imaginer ces derniers instants …

Le camp de Ravensbrück sera libéré le 30 avril 1945 par l’Armée Rouge.

Sa maman qui n’a pas cessé de lui écrire, mais dont aucune lettre ne parvint à Marthe, s’éteignit en 1946.

En souvenir, une plaque commémorative sera posée sur la tombe de ses parents à Nantes.

Comme toutes ces femmes connues ou non, qui luttèrent contre l’oppression nazie, Marthe fut une femme de conviction, mais surtout une femme extra-ordinaire.

« Rien de vraiment grand ne se fait sans une parcelle d’amour »

« La générosité, cette liberté d’une âme qui ne s’est point mis d’attaches et peut se donner toute entière » Extrait des notes du carnet de Marthe DELPIROU

Source : conférence sur Marthe Delpirou de Jean-michel Kervadec, été 2011

Le collectif de conteurs, Histoires de Mots, a raconté l’histoire de Marthe Delpirou le15 mai 2022. Un moment fort de cet après midi dédié aux femmes Saint Pierroises, organisé par KER1856.

Une réponse

  1. Le « jeune François » est son neveu issu de germain François Enginger fils de Marie-Louise Le Glohaec et Maurice Enginger, sis villa le Bégo à Kermahé. Talie (diminutif de tata Emilie), sans descendance directe, lèguera Er Men Guen à François. La villa appartient toujours aux enfants de François.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Inscription dimanche 18 sept le costume de mariage

Pourquoi KER1856 ?

KER: un village , un lieu qui nous rassemble

1856 : création de la commune de Saint-Pierre

Le saviez vous ? le village de Saint-Pierre n’existe pas.