La Villa Ker Marie

Extrait de l'article

Les parents de Michel étaient les gardiens de la villa Ker Marie. il se souvient de son enfance, pas banale, dans cette villa.

Participants à la rédaction de cet article

Entretien réalisé par Gaël Le Bourgès et Béatrice Barbe
Transcription et écriture de cet article par Béatrice Barbe

Copie des images et textes interdits sans l'autorisation de KER1856

Nous sommes accueillis par Michel et Françoise à leur domicile, rue du Ouarc’h, à Saint-Pierre-Quiberon.

Il fait bon, l’ondée est déjà passée la nuit précédente. Nous nous installons autour d’une table abritée dans le jardin. Le basilic et la menthe nous font des clins d’œil olfactifs.  Le cidre est frais et a des reflets dorés sur la toile cirée…

Michel, homme réservé et discret nous dit qu’il n’a pas grand-chose à nous raconter.

Les 2 Heures 30 que nous passerons à les écouter, lui et sa femme, nous prouveront bien le contraire…

Ce couple se connait depuis toujours : D’abord voisins (Michel a même bercé Françoise), puis camarades de jeux, puis amis, amoureux et enfin unis.

Ils ont tous deux été pouponnés dans une maison célèbre de Saint-Pierre-Quiberon.

Villa Ker Marie

Mais avant cela, revenons à l’histoire de Michel et de sa famille étroitement liée à celle d’une autre famille et d’un lieu magique : la villa de Ker Marie[1].

Michel est né en 1948 à la villa Ker Marie, tout comme son frère, bien avant lui, Gaby en 1942 et sa sœur Marie-Madeleine en 1945.

Michel est né et a vécu dans cette grande maison qui n’était pas la sienne, a joué avec des jouets qui n’étaient pas les siens, a été choyé par 2 familles, la sienne, bien sûr, et celle de « Madame » et de « Monsieur ». Il en garde des souvenirs doux et émerveillés à la fois car avec le recul du temps, il sait le privilège d’avoir vécu tout cela… Il nous raconte Ker Marie, un lieu qui inspire bien des récits jusqu’à encore aujourd’hui.

Le très beau mur d’enceinte de Ker Marie

Il faut dire que le « KER » breton prend là toute sa dimension : Ker Marie était, nous raconte Michel de 1948 à 1963 un vrai lieu de vie autonome, un “manoir” déguisé en ferme, un lieu de vie clos, protégé et protecteur. Un grand mur de pierre très haut, aussi haut qu’un fortin, surtout dans les yeux d’un enfant, ceinturait le domaine.

A l’intérieur, une vie totalement en décalage avec le quotidien des Saint Pierrois de l’époque. De quoi susciter curiosité, mystère et certainement envie, mais de cela Michel ne retient que le bon. Cette villa et la vie qui allait avec, étaient un vrai paradoxe :

Puits de Ker Marie

« Une végétation luxuriante, un jardin, entretenu et prospère en fleurs, légumes, et verger, arrosés par l’eau d’un château d’eau qui alimentait en eau courante alors que les voisins allaient au puit. L’électricité, le téléphone, le chauffage central au charbon puis au fuel, un bassin avec des poissons, quatre parcelles de terre, du bétail (deux vaches paissaient place de la Marne, qui à l’époque était un champ), un cheval, poules et canards, etc… Tout cela donnait confort et totale autonomie à ceux qui y vivaient. »

« L’exotisme d’une volière où des perroquets et autres oiseaux exotiques trônaient, le terrain de tennis, le “Grondin” en bois pour naviguer offraient un formidable terrain de jeux pour enfant et bien sûr pour adulte », nous raconte Michel,

Lavoir de Ker Marie

« Ker Marie était un vrai parc d’attraction pour nous, enfants. Des chambres froides dans lesquelles nous rentrions, tout d’bout, permettaient de garder les clayettes de denrées au frais et pallier au manque, mais tout cela nous paraissait normal quand on y vivait », « car nous ne savions pas que le reste de Saint-Pierre était moins moderne ! En ce temps-là, les biens étaient tenus secret, nous vivions dans un écrin au milieu du village », maman nous disait : « ne racontes pas trop ce qui se passe au Manoir… »

Comment ces deux familles se sont-elles accompagnées ?

Les parents de Michel se sont connus au début de la guerre. Le père de Michel était vendéen. Après un court séjour à la prison de Belle Ile (dans ce qui fut aussi un bagne pour enfants), Michel ne se rappelle plus vraiment pourquoi, mais en temps de guerre, allez savoir ?) il accepte le travail de jardinier pour le couple PORCHER qui occupe épisodiquement cette villa.

Cette maison élégante existait depuis longtemps et fut rachetée par Ludovic Le GLOHAHEC qui la baptisa du prénom de sa femme : Marie. Le père de Ludovic, Célestin Le GLOHAEC fut directeur de l’usine d’iode, maire de Saint-Pierre-Quiberon, etc.

La fille de Ludovic, Simone ayant épousé un radiologue parisien de renom, Monsieur Pierre PORCHER s’y installa pour y fonder une famille et faire vivre cette grande maison.

Les parents de Michel, une fois mariés, deviennent les gardiens permanents de la belle villa. Tout à la fois, jardinier, aide à l’atelier de menuiserie et de ferronnerie (Monsieur PORCHER étant un fervent bricoleur), fermier, cuisinière et lingère, ils s’occuperont de toute l’intendance de la maison pendant de nombreuses années.

L’été, des renforts d’aide comme chauffeur, bonnes, nounous, gonflaient l’effectif. Ces travaux domestiques parfois durs ne les empêcheront pas de fonder eux aussi une famille : quatre enfants y naitront.

Les aidants de la Villa Ker Marie

Ils y vivaient à l’année dans la partie la plus basse, celle qui ressemblait à une longère. Il y avait au rez-de-chaussée (se rappelle clairement Michel, qui nous dessine à main levée un plan), une cuisine, une petite salle à manger et à l’étage, les chambres pour toute la famille, plus loin l’atelier qui sera transformé en appartement de plain-pied bien longtemps après…

Les deux enfants PORCHER, Jean François (futur médecin) et Annie (mariée plus tard à un HENROT, médecin aussi) auront des enfants à peu près du même âge que Michel et ses frères et sœurs. Des camarades de jeux idéaux, une bande de copains à domicile ! Bonheur.

La famille PORCHER habitait la plupart du temps à Paris pour les affaires de Monsieur, mais venait animer les nombreuses pièces de la maison à chaque vacances de Noël, de Pâques et durant les deux mois d’été ! Presque trois mois à passer ensemble chaque année, à jouer, à découvrir la vie, à apprendre et à échanger des bêtises, cela crée évidemment des liens. Les enfants se retrouvaient avec joie, se racontant les modernités de Paris, testant des jouets venus d’ailleurs et totalement inabordables pour les petits bretons ! Michel nous raconte l’excitation d’avoir pu apprendre à jouer au tennis dans le jardin de la propriété et d’en jouer régulièrement jusqu’à en faire une vraie passion. Le tennis était à l’emplacement de la résidence éponyme actuellement en construction.  Il nous dit aussi avoir découvert le croquet qui se jouait sur l’herbe ou sur le sable : une aubaine, nous avions les deux à Saint-Pierre-Quiberon !

L’été, la maison se remplissait également des invités de M. et Mme PORCHER. L’un d’entre eux, un ami américain, un soir de 1956, a même organisé une dégustation de Coca-Cola ! Les enfants et tout le reste de la famille ont été invités à gouter solennellement au célèbre pétillant : c’était la première fois « dehors personne ne connaissait ou bien peut être dans certains restaurants chics ?  Michel, du haut de ses 8 ans s’en rappelle encore en riant comme une bonne blague !  

Il a eu l’impression de vivre dans une grande et unique famille. « A l’année il n’y avait que nous dans cette villa », nous dit Michel. Il savait pourtant très bien où était sa place, celle du fils du gardien. Son frère Gaby, l’ainé, lui avait plus de mal et pensait que la villa Ker Marie était la sienne !  Déjà, elle portait le prénom de sa maman, et puis, Mme PORCHER a demandé une faveur à la mère de Michel, celle de devenir la marraine de son premier enfant Gaby.

Gaby fut donc baptisé dans la maison Ker Marie sous la protection de Dieu et des maitres de maison, M. et Mme PORCHER.

L’été était synonyme de joies, de compagnie et d’aventures pour Gaby, Marie-Madeleine et Michel.

Le chien de M. et Mme PORCHER, un caniche royal les accompagnait partout et restait même avec la famille de gardien hors saison. Un cadeau de plus pour les enfants !

Il y avait des bateaux aussi. Les maitres de maison en détenaient plusieurs dont un magnifique “Grondin”, sorte de petit yacht en bois où l’on pouvait dormir à six parfois. Tous les étés, il fallait le mettre à l’eau début juillet. Tous les étés, il commençait par couler ! Puis remis à flots, la famille PORCHER faisait des virées de Saint-Pierre-Quiberon jusqu’à Arradon. Seulement, le soir, le chauffeur de Monsieur PORCHER allait chercher l’équipage en voiture pour les ramener à l’heure du diner ! Le lendemain matin, cap sur Arradon en auto pour faire la navigation retour ! plaisance haut de gamme !

Larges ouvertures sur l’extérieur

Les occasions de sortir de cet enclos merveilleux étaient rares : « pourquoi sortir ? Nous avions tout sous la main pour être heureux » nous dit Michel, mais il le fallait bien… pour aller à l’école notamment.

Michel a d’abord, suivi l’instruction des “sœurs Blanches”, du nom de leur soutane, c’est-à-dire à l’école de garçons de Keraude pendant 2, 3 ans, vers 1952. La famille PORCHER était très croyante, celle de Michel aussi, d’ailleurs les arums blancs de l’église provenaient souvent du jardin de Ker Marie et Michel se souvient de Robert KERMORVANT, un bon ami de son père (Robert deviendra plus tard le bedeau de l’église).

Puis plus tard, il fréquente l’école des “sœurs noires” située le long de la plage. Il se souvient parfaitement des locaux et de leur emplacement le jeudi, c’était journée patronage et jeux de plage.

Mais ce qui lui fait briller les yeux c’est quand il nous raconte les séances de cinéma organisées par l’Abbé DROUET, tous les dimanches après-midi ! Un mur blanc dans les vestiaires, des bancs disposés en rang, la vingtaine de gamins mettaient la pellicule sur la bobine ou tournaient la manivelle et les aventures de « Tintin et Milou », « Charlot » ou bien « Laurel et Hardy » les emportaient pendant deux heures…

Encore une passion naissante pour Michel dès ses 7 ans qui devint cinéphile. Devenu heureux quiberonnais après son certificat d’études à 13 ans en 1962, (et parce qu’il rêvait d’être dans une grande ville avec les copains) il aida même le cinéma de Quiberon en collant les affiches des films dans toute la Presqu’ile. Il nous cite encore le numéro de sa place préférée et la distribution de certains films par cœur !

Michel a quitté la villa Ker Marie pour effectuer ses trois ans d’apprentissage en électricité à Quiberon, chez M. Le DÉORÉ en 1963.

Des envies de changement, d’indépendance et d’intimité, sans doute, pour M. et Mme GACHIGNIARD, les parents de Michel, vont les inciter à faire construire une petite maison canadienne à Kergroix. Une maison certes plus modeste mais rien que pour eux. Changement de vie. Les deux familles s’éloignent donc mais resteront toujours en très bons termes et continueront à se rendre de menus services.

Michel lui, a besoin de « sauter ce grand mur », celui qui l’abritait certes étant petit, mais qui lui bouchait certainement aussi l’horizon.  Pour aller vivre ailleurs, loin… Le décès de sa mère, Marie, en 1965 le décide à boucler ses valises l’année d’après…

L’armée entre 18 ans et 20 ans, à Djibouti, dans les transmissions. La Presqu’île revient à lui, comme un premier clin d’œil du destin puisqu’il retrouve sa voisine du temps passé, Mme Colette KERVADEC, elle-même femme de militaire. Plus tard, il épousera pendant 50 ans une grande ville : ce sera Paris.

Michel, qui n’aimait plus Saint Pierre Quiberon, revient pourtant sur ses terres familières pour dire un dernier adieu à sa sœur Marie-Madeleine en 2014.

Il croise de nouveau Françoise et son cœur plein d’amour.

Michel, à Saint-Pierre, fera ainsi son retour.

Commentaire de KER1856

 Ker Marie a peu changé au cours du temps, ainsi il nous semblait important de faire revivre sa mémoire, au moment où le parc de la villa devient une résidence, et que la ville continue d’évoluer, transformant à jamais ce sanctuaire protégé des regards et des intrusions pendant plus de 150 ans….

Il est bon d’avoir une mémoire patrimoniale, c’est le rôle de KER1856 de se souvenir de ces lieux uniques, pour que ce qui constitue l’histoire de Saint Pierre reste dans la mémoire collective. » 

La maison du gardien
Les travaux, le manoir au fond
Le projet immobilier

Le projet de construction résidentielle est en cours de finition pour 2023 , le centre ville se modifie , la villa Ker Marie irrémédiablement discrète derrière de nouveaux murs…


[1] NDLR : Pourquoi Ker Marie ? – c’est le prénom de la femme d’Alexis Ludovic Le GLOAHEC ; Marie, Victorine, Émilie BARON.

3 Responses

  1. Il est dommage que personne ne se soit battu pour que soit conservé Ker Marie et son parc aux arbres centenaires, véritable poumon vert du village, et qui aurait pu profiter à tous les saint-pierrois. Le parc est remplacé maintenant par un projet immobilier titanesque, qui transforme le centre de Saint-Pierre-Quiberon est une horrible pustule de béton. Et puis personne ne se pose la question de l’accès à la presqu’île ainsi que des déplacements en été lorsque chaque appartement apportera de une à 3 voitures de plus. Aucun projet de bus entre Saint-Pierre et Quiberon. Ker Marie, maintenant totalement défigurée par ce mur de béton, pleure son parc, ses arbres, son tennis, et les habitants de Saint-Pierre aussi.

  2. Trés touché et trés triste de ce gentil témoignage de mon copain d’enfance ….de 6 ans mon aîné …ce cher Michel Gachignard ….te souviens tu que le petit Bernard vous rejoignais à l’heure du déjeuner dans votre cuisine pour écouter le Tour de France à la Radio ….et qu’on jouait au tour de France devant la maison avec nos petits cyclistes en métal …. Michel si tu te souviens de moi …je t’embrasse .
    Bernard Porcher ( petit fils de Pierre Porcher et fils de Jean François Porcher )

  3. Mon père, Jean, a été gardien/jardinier de la propriété de M. et Mme Porcher, puis de leurs enfants, d’août 1976 à 1996.
    Même si la période de M. Gachignard était antérieure à celle de mes parents, je confirme ce sentiment d’ilôt protégé en plein centre de Saint-Pierre.
    Mon père, adapte du bricolage, a beaucoup apprécié les années durant lesquelles il “travaillait” avec M. Porcher dans un atelier très fourni en outils et en pièces récupérées par M. Porcher pour leur donner une seconde vie.
    Une différence par rapport à l’article. Mes parents n’ont pas connu le caniche royal mais une chienne boxer, gardienne de la propriété.
    En tout cas, de très bons souvenirs de ses années et tristesse de voir l’immeuble qui a remplacé le magnifique jardin et Ker Annette, maison des gardiens.
    Il reste le parc qui va de la rue du Dr Le Gall jusqu’au monument aux morts.

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